Pour ne pas rater l'occasion unique d'enrichir ses collections consacrées à l'affaire Dreyfus, le Musée de Bretagne se tourne vers une campagne de financement participatif. Un choix inhabituel, mais motivé par l'intérêt historique des ensembles photographiques en vente.
Début 2022, Laurence Prod'homme, conservatrice au Musée de Bretagne, est contactée par un galeriste. Deux ensembles photographiques, relatifs au procès en révision du Capitaine Dreyfus, vont être mis en vente. "J'ai immédiatement été persuadée de la grande valeur historique de ces photographies" se remémore Laurence Prod'homme. En effet, les clichés, inédits, permettent de se plonger dans cet épisode important de l'affaire.
Le premier ensemble photographique montre le Capitaine Dreyfus, à bord du croiseur "Le Sfax", en juin 1899, lors d'une traversée qui le ramène de l'Île du Diable. Les images, d'une grande rareté, sont toutes légendées et datées au crayon. Saisissantes, elles montrent la dignité d'Alfred Dreyfus, malgré la détérioration de sa condition physique en raison de ses conditions d'enfermement difficiles, au large de la Guyane.
Le second ensemble est un album du procès en révision. À travers 78 pièces, ce sont tous les figures de ce procès qui défilent, permettant ainsi de se plonger au cœur de ces jours décisifs : "un témoignage visuel inestimable" pour Laurence Prodhomme, qui souligne que le photographe a pris le soin de légender les photographies et d'identifier tous les personnages. "Il s'agit d'un travail très rigoureux", confirme la conservatrice, qui s'intéresse également à l'auteur de ces clichés.
Ces photographies, très rares, ont un autre intérêt : elles témoignent de l'émergence d'une nouvelle pratique : la photographie de presse. Laurence Prod'homme complète : "L'auteur reste anonyme, mais je cherche à l'identifier. C'est le travail de quelqu'un qui est aux premières loges du procès et qui en connait tous les acteurs. Je pense qu'il s'agit d'un des sténographes du procès."
Un appel au public pour acquérir ces pièces
Pour le Musée de Bretagne, il ne fait aucun doute que ces pièces ont vocation à entrer dans ses collections. "Le problème, c'est que le budget d'acquisition de l'année 2022 est presque entièrement mobilisé sur le mobilier archéologique de Trémuson", rappelle Laurence Prod'homme.
Ces pièces archéologiques, datées entre le 2e et le 1er siècle avant J.-C., sont rares et d'une grande valeur. Leur acquisition est une priorité pour le Musée de Bretagne. Pour autant, l'institution n'entend pas laisser les albums photographiques lui échapper. Face à un budget qui n'est pas extensible, le Musée a donc fait le choix, inhabituel, de se tourner vers le financement participatif : "c'est un vrai défi pour nous et nous tenons vraiment à réunir ces fonds", confie Laurence Prod'homme.
Une fois intégrées dans les collections, les photographies acquièrent en effet un statut protégé. Elles pourront être utilisées par des chercheurs, mais également consultées librement par toutes et tous : le Musée prévoit en effet déjà de les numériser et les publier en ligne sur son portail numérique des collections.
La campagne de financement participatif est assurée via la plateforme Kisskiss Bankbank. "Nous souhaitons recueillir 10 000 €," indique Laurence Prod'homme. "Même les petits dons sont importants pour boucler la somme ! Ce serait vraiment dommage ne pas mener cette campagne à terme…".
Rennes, ville au cœur de l'affaire Dreyfus
En ce mois d'août 1899, une agitation anormale gagne la ville de Rennes : la tension est palpable, l'ambiance électrique, et une foule de journalistes et de militaires se pressent dans les rues. Le lycée militaire concentre toute l'attention : c'est là que se déroule le procès en révision du capitaine Alfred Dreyfus. Il s'agit d'un épisode clé dans ce qui est devenu l'Affaire Dreyfus.
L'Affaire Dreyfus, c'est cette tempête politique qui a violemment polarisé la France à la fin du 19ème siècle, et a marqué la société française jusqu'à nos jours. Un jeune officier, Alfred Dreyfus, victime d'une machination militaro-judiciaire, est déclaré coupable de trahison en 1894 : il aurait transmis des documents secrets à l'Allemagne. Alors que les preuves du complot apparaissent au grand jour, il est de plus en plus clair qu'Alfred Dreyfus a été désigné coupable en raison de sa confession juive. De grands noms s'engagent dans ce débat, réclamant la vérité : le débat public est explosif et la France se coupe en deux camps irréconciliables, les Dreyfusards contre les anti-Dreyfusards.
Après sa condamnation, Dreyfus passe 5 années terribles sur l'Île du Diable, au large de Cayenne. Il quitte l'île pour rejoindre la France et suivre son procès en révision en 1899. Celui-ci tourne à nouveau à la mascarade , et conclu à la culpabilité du capitaine. Pourtant, la thèse des partisans de Dreyfus s'impose dans l'opinion. Le 19 septembre 1899, le capitaine est gracié par décret présidentiel.
Cette affaire a marqué la société française : elle a révélé la force de l'antisémitisme dans le pays, l'indignité de l'institution militaire, et divisé la population. Elle a également contribué à assoir la place des intellectuels dans le débat public.
Conscient de ces enjeux, le Musée de Bretagne lui consacre une exposition permanente depuis son installation au sein des Champs Libres. Le Musée possède également un fonds Dreyfus, riche de près de 6800 pièces, qui fait aujourd'hui référence dans le domaine.