"Ce qui se passe aux Gras, reste aux Gras…" C'est ainsi que les Douarnenistes parlent de leur carnaval qui se déroule tous les ans, pendant cinq jours… Mais quels sont les rites, les pratiques et les lieux de ce carnaval emblématique ?
Dans le cadre de la préparation de l'exposition Carnavals, le Musée de Bretagne a souhaité en savoir plus. Éléments de réponses avec Marjorie Ruggieri, anthropologue, qui a mené l'enquête pour le compte du musée.
Comment s'est déroulée l'enquête à Douarnenez ?
L’enquête sur les Gras a débuté en septembre 2022 et s'est achevée en novembre 2023, avec un lancement officiel le 8 octobre 2022. L'association locale Emglev bro et le Comité d'animation des Gras nous ont prêté main-forte. Dès la première rencontre, les Douarnenistes ont partagé des souvenirs, anecdotes, objets, photos, vidéos. Une phase exploratoire a permis de créer un comité de pilotage d’experts et d’acteurs des Gras, d’identifier des informateurs et des archives externes, et de définir des outils de valorisation possibles (exposition in situ, soirées de diffusion des films amateurs, ateliers de transmission). Grâce à la consultation de livres, au dépouillement d’articles de journaux et aux rencontres avec des experts, nous avons retracé l’histoire des Gras, définissant les principaux rituels qui en font sa spécificité, à savoir : une culture carnavalesque subversive et populaire presque intacte, un moment d’entre-soi, une bulle de liberté où l'absence de règle aboutit à des manifestations, en apparence, irraisonnées et excessives et ce depuis sa création autour de 1835.
Quelle a été la participation des Douarnenistes ?
Lors de l’enquête, 45 Douarnenistes ont été interviewés, dont 30 ont été filmés. Certains extraits seront visibles dans l’exposition… À l’issue des entretiens, 13 témoins ont partagé des centaines de photographies des années 1930 à 2000 et des films personnels, dont un super 8 mm. Une vingtaine d’objets, goodies et costumes des Gras, dont certains ont été confiés au Musée de Bretagne pour l’exposition, ont été photographiés et inventoriés. Le comité des Gras a remis plus de 3 000 photos et vidéos, indexés également dans la base d’archive de l’OPCI, RADdO. Toute cette précieuse documentation a également été remise au Musée de Bretagne.
La collecte a également permis de nourrir l'exposition, comme ici avec ce costume.
Avez-vous vous-même vécu les Gras ?
Oui, trois membres de l'OPCI se sont rendus à Douarnenez lors des Gras 2023, quelques membres du Musée de Bretagne aussi, d'ailleurs… Les grandes étapes et rituels ont pu être filmés à plusieurs moments et divers endroits : construction des chars et du Den Paolig, sortie du hangar, intronisation du Den Paolig et sa crémation sur le port, Noce des Gras et soirées, totalisant plus de 1 000 photos et près de 300 séquences vidéo.
À quoi tient la popularité des Gras ?
Les Douarnenistes participent sans doute à la popularité et à la transmission de ce carnaval, à la fois taiseux et bavards, fiers et discrets, créatifs et farfelus, ne cherchant qu’à « faire les Gras », entre eux, pour eux, et qui n’ont à priori aucun intérêt à ce qu’on les expose au monde… Pourtant, tous se sont pliés au jeu de l'enquête-collecte, révélant les mystères de « leurs Gras », ouvrant les portes de leur hangar.
Selon vous, après cette enquête, quelle est la spécificité des Gras ?
On retrouve encore aux Gras, comme dans bien peu de carnavals en France aujourd'hui, cette dynamique collective, cette relation au laid, au corps, à l’énergie subversive et transgressive et cette satyre qui étaient au cœur des nombreux carnavals du 19e siècle. La liberté des thèmes, des déguisements, des chants et autres calembours, font de ces jours « désorganisés », des moments de célébration de joie et de renaissance des corps face aux affres de l’hiver qui s’éloigne et au printemps salvateur… On dit bien que le calendrier des Douarnenistes commence aux Gras !
En savoir plus
L'enquête-collecte ethnographique a été confiée à l’Office pour le Patrimoine Culturel Immatériel (OPCI-Ethnodoc). Il s'agissait de mieux connaître et mieux comprendre les Gras de Douarnenez (Finistère), emblématique fête carnavalesque locale, véritable bulle de liberté pour les habitants du territoire. Avec la participation de carnavaliers de tous âges, l'enquête permet d'écrire les mémoires des Gras et met en lumière les rites, les pratiques et les lieux…
Cette enquête s'inscrit dans le programme Festimonia, initié par la Fédération Française des Fêtes et Carnavals de France (FCF) et l’OPCI-Ethnodoc. Destiné à sauvegarder le patrimoine vivant des fêtes et carnavals, ce programme est proposé aux membres de la fédération depuis 2015.