Responsable du pôle conservation au Musée de Bretagne, Manon Six a supervisé la collecte d’objets consacrée au sport.
Une opération, initiée en 2020 sur le territoire régional, qui a permis de récolter une quarantaine de nouveaux éléments qui, tous, racontent le lien intime que les Bretonnes et les Bretons entretiennent avec le football, le cyclisme, les activités nautiques... Des disciplines qui, plus que de simples pratiques sportives, apparaissent comme le reflet d’histoires individuelles, familiales et collectives. Des marqueurs de nos vies. À vos marques, prêts, vibrez !
Répondre à une insuffisance de nos collections
Manon Six : Cette collecte d’objets en lien avec la pratique sportive répondait à une insuffisance dans nos collections. Nous constations que l’iconographie était extrêmement présente (avec beaucoup d’images, de photographies, des documents imprimés…), mais que nous présentions des lacunes en termes d’objets. Cela peut sembler étonnant car le sport est une pratique très populaire, ancrée dans le quotidien de beaucoup d’entre nous. S’il occupe une part importante de nos vies, il était donc, paradoxalement, plutôt absent de nos collections. S’agit-il d’un patrimoine qui a pu être mésestimé par une institution comme la nôtre ? La question ne se pose pas comme ça. Du côté de beaucoup de musées de société, dont le Musée de Bretagne, le sujet de recherche n’avait pas vraiment été posé jusque-là. Ce n’est pas une question de noblesse ou d‘intérêt du sujet. Certains autres domaines, où il pouvait être urgent d’enregistrer une mémoire en train de disparaître, ont dû sembler plus prioritaires. Le sport, lui, n’a jamais disparu. Il a toujours été très présent, pour ne pas dire omniprésent.
Un support d'histoires et de récits
MS : Pour cette collecte, nous avons décidé de nous concentrer sur le sport amateur. Je ne dis pas que le sport professionnel n’est pas intéressant, car il joue son rôle d’aiguillon et de stimulation, mais nous voulions surtout explorer la relation qu’entretiennent les Bretons avec le phénomène sportif, qu’ils soient pratiquants réguliers ou occasionnels, passionnés ou simples spectateurs. On voulait ce regard-là dans ce qu’il a de support d’histoires et de récits. Nous avons toujours vu le sport comme un phénomène anthropologique global allant de l’enfance à l’âge adulte.
Entrevoir la dimension patrimoniale
MS : Si la collecte a débuté en 2020, elle a été perturbée par la crise sanitaire. Nous avons donc essayé de toucher, via les fédérations et les clubs, des personnes ressources qui pouvaient avoir cette capacité à entrevoir la dimension patrimoniale de tel ou tel objet. Car ce n’est pas quelque chose d’évident à évaluer. La durée interprétative d’un objet est une notion difficile à concevoir : qu’est-ce qui est intéressant aujourd’hui ? Qu’est-ce qui le sera dans cinq, dix ou cent ans ? Comme pour d’autres collectes, les donateurs sont plutôt des gens d’un certain âge. Ils ont, plus facilement, la conscience de l’importance de transmettre un patrimoine d’une manière plus large que le spectre familial. Aujourd’hui, nous avons sélectionné entre 40 et 60 objets. Cela représente une trentaine de donateurs. Principalement liés au football, au cyclisme et aux activités nautiques.
Valeur affective
MS : Très vite, on s’est rendu compte que le sport est un vecteur affectif très fort. Les objets portent le souvenir d’une pratique, d’un évènement, d’une émotion… Nous avons constaté que les personnes sont toutes très attachées à leurs objets et qu’il est parfois difficile pour elles de nous les donner. On a eu, par exemple, la chance d’avoir un donateur qui avait conservé son billet de la finale de Coupe de France de football remportée en 1965 par le Stade Rennais. Il a mis un certain temps à nous le confier, alors qu’on peut se dire qu’il ne s’agit que d’un petit bout de papier. Je pense aussi à l’athlète Solène Gicquel qu’on a interrogée sur la façon dont le sport s’est installé dans sa vie. Si elle était d’accord pour témoigner, elle n’était pas encore prête à nous céder un objet. Typiquement, sa première paire de basket. C’était impossible pour elle, trop de souvenirs... Même chose avec la jeune navigatrice Julie Mira, basée à Erdeven. Elle nous a raconté toute l’histoire et l’importance de son couteau de marin, mais il lui était inconcevable de nous le laisser.
Des moments furtifs qui pontuent nos vies
MS : Les éléments collectés sont principalement des objets de la vie quotidienne. Les donateurs ne nous parlent pas de trophée ni de médaille… C’est là qu’on se rend compte que ce n’est pas la préciosité du matériau qui en fait sa saveur, mais plutôt ce qu’il symbolise, comme le fait d’avoir remporté une victoire. Un objet de peu d’apparence peut être porteur de beaucoup d’émotions car il va tout de suite rappeler un match, une compétition... C’est là qu’on observe une des particularités des objets sportifs : ils ne renvoient souvent qu’à des moments très furtifs. Cela peut être une performance sportive, une victoire, une finale… Des choses, certes, très momentanées mais qui ponctuent nos vies.
Une recherche de lien social
MS : Le sport, c’est finalement plus qu’une simple pratique sportive. C’est un phénomène sociétal à part entière qui révèle, avant tout, une recherche de lien social. C’est un des enseignements qu’on a pu tirer de cette collecte et des entretiens menés avec les donateurs. Le sport permet de se réunir, d’être ensemble, d’être reconnu par ses pairs... Cela nous met en relation avec les autres. Cela s’observe particulièrement au sein des familles. C’est quelque chose de palpable sur la question du supportérisme notamment : l’expérience du stade et la fidélité à une équipe se font souvent par le biais de la transmission familiale. Ce n’est pas quelque chose qui se fait totalement par hasard. C’est souvent un rapport de miroir. Des passions sportives qui s’héritent et qui marquent les familles.