Lola Lafon est est une artiste aux multiples talents, elle s’exprime aussi à travers la musique, la danse et le théâtrela forme romanesque. Elle explore des écritures plurielles, dans une recherche entre fiction, fausse biographie, autobiographie, journal intime, qui fait de chaque texte une découverte. Dans cet entretien inédit, conduit par Sylvain Bourmeau, directeur du journal AOC, l'autrice associée de l'édition 2025 de Jardins d'hiver se confie sur son métier : son rapport à l'écriture, à la scène et au public ainsi que sa relation singulière à l'actualité.
Les festivals se sont multipliés, comme les rencontres et lectures publiques, beaucoup d’écrivains y consacrent désormais une partie importante de leur temps. Qu’allez-vous y chercher ? Comment ménagez-vous de la place pour l’écriture dans des calendriers aussi denses ?
La scène, le rapport avec un public, tout ceci fait partie de ma vie depuis l’enfance, avec la pratique de la danse et du chant. C’est donc une sorte de continuité pour moi de faire vivre un texte, un roman, de façon » frontale », de l’incarner. Transformer un roman en lecture musicale exige qu’on découpe le dit roman, qu’on en supprime au moins la moitié. De ce fait, le dire c’est le réécrire alors qu’il est déjà publié : je supprime des personnages, je saute des parties entières, il faut repenser un autre fil narratif. C’est un détour au creux du chemin roman, celui que je n’ai pas emprunté, qui « prendra » la scène.
La scène c’est aussi un tout autre rapport au temps : le moment, l’instant, on doit consentir à un certain manque de contrôle lié aux réactions du public et aussi, à ma technique. Tout peut arriver, de fait, on se demande souvent, quand on fait de longues séries sur scène, comme j’ai fait avec la performance « Un état de nos vies » au théâtre du Rond Point : qu’est ce qui va se passer ce soir ? comment vais-je intégrer au récit ce qui va se passer ?
L’écriture est aussi très liée à l’oralité, pour moi. J’écris en parlant tout le texte, (pas vraiment à voix haute). Je ne conçois pas l’écriture sans entendre ce qui se trame entre les mots, la façon dont certains mots se cognent les uns aux autres, ou, au contraire, dont ils découlent les uns des autres. Je pense avoir été, adolescente, séduite par la poésie, parce qu’elle était « dite » par des chanteuses comme Patti Smith.
Les périodes de promotion sont paradoxales. On passe son temps à parler de littérature mais on n’écrit pas (du moins, en ce qui me concerne, Je ne parviens pas à travailler sur un roman ou un récit quand je voyage beaucoup). C’est un moment fragmenté, on travaille dans les trains, avec une contrainte de temps. C’est bien pour des textes courts, mais le temps de l’écriture du récit ou du roman exige, en ce qui me concerne un espace de silence et de vide.
Il y a un trop plein, les mois qui suivent la sortie d’un livre, beaucoup d’échanges joyeux, riches avec les lecteurs.rices, beaucoup de rencontres, beaucoup de mots, finalement, dits, entendus, mais ce ne sont pas les mêmes, je crois que ceux de l’écriture…
Mais c’est évidemment un luxe d’être lue, d’être suivie, et je « profite » en quelque sorte de ces semaines là comme d’un autre temps, jusqu’au moment où je n’y parviens plus : je ne parviens plus à etre pleinement présente, ni à « donner », en rencontres, quoi que ce soit. Il est alors temps d’arrêter et de retourner à la solitude.
Le fait aussi de beaucoup parler d’un roman, de le commenter, de me disséquer en public, fait que mon « espace imaginaire » en est dévoré ; ça ne me laisse pas de place pour ce qui se trame, une ébauche de roman. Finalement, c’est très semblable à une histoire d’amour qui n’en finit pas de ne pas se finir, qui n’autorise pas à aimer de nouveau.
Etes-vous curieuse de la littérature qui vous est immédiatement contemporaine ou accordez-vous davantage de temps à lire et relire des textes plus anciens ?
Je suis évidemment curieuse de ce qu’écrivent mes ami.e.s ; et chaque année, aussi, il y a une rencontre, je tombe « en amour » avec de nouvelles voix, aussi, des livres qu’on me fait parvenir. Et j’aime beaucoup l’idée de jouer un rôle de passeuse, d’en parler en interview, et aux libraires etc. C’est très agréable de porter un autre livre que le sien, ça décentre un peu c’est bien. On est dans cette position étrange, en promotion, de « défendre « son travail comme s’il s’agissait d’un corps étranger. Et d’ailleurs, ce faisant, en le « pitchant », on réduit soi-même le travail qu’on a fait. Alors que quand on parle d’un autre roman que le sien, je trouve qu’on parvient à en déployer tous les aspects, sans doute parce qu’on n’est pas sous cette pression de « défendre ».
En ce qui concerne les lectures dites « classiques », j’y reviens quand je commence à me lancer dans un nouveau projet. C’est une façon de se remettre dans un sentiment plus collectif littéraire, de retrouver des gestes littéraires dont on se sent proche, héritière, parfois. On reprend le fil, c’est comme une conversation qu’on continue avec les auteur·ices qu’on aime, avant d’oser y ajouter quelque chose, à cette conversation…
Vous êtes présente dans l’espace public et très attentive à l’actualité. Quelle relation entretenez-vous au quotidien avec elle ?
Un peu obsessionnelle, je lis tous les jours un ou deux quotidiens et je garde des bouts d’articles, des choses qui ne sont pas de l’« actualité » immédiate. J’ai des dossiers, c’est une matière, aussi. Avant, évidemment c’était papier, je retrouve parfois des choses que j’ai conservées d’il y a 20 ans. Les retrouver c’est aussi faire face à l’imaginaire qu’on a eu des années auparavant, voir comment certaines obsessions se sont adoucies ou, au contraire, ont perduré.
Je note aussi beaucoup dans mes carnets. Et puis il y a la chronique pour Libé, cette page blanche qui m’a été offerte, une fois par mois. Ça me permet, justement, de continuer à travailler ce lien entre les « histoires » qui forment ce qu’on appelle les « infos » et la narration qu’on choisit d’en faire.
C’est finalement très semblable, cette écriture de chronique, à l’écriture romanesque. Je pense la structure, la forme. La façon dont des motifs se répondent, même sur une seule page.
J’aime aussi lire des textes qu’on dit « de fond », d’analyse, dans des revues plus confidentielles, parfois. Ça me permet de sortir de l’immédiateté, de tenir tête au sentiment d’être emportée par un flot d’ « informations ».
Comment s’articule cette relation à l’actualité avec votre activité littéraire ?
Justement, elle s’articule. Il n’y a pas vraiment de séparation. La lecture ou même l’écoute de ce qui s’appelle « l’information » est une fiction, elle contient une idéologie. Elle sert un but. C’est parfois ce qui m’intéresse le plus. La façon dont le langage vient appuyer une idéologie. J’ai souvenir d’un reportage sur parcours sup dans lequel une « spécialiste » vantait le fait que les adolescents y trouveraient de quoi devenir plus « performants ». le langage était absolument entrepreneurial, comme si c’était une évidence, une chance de se retrouver confronté.e, adolescent.e à la concurrence, à l’efficacité.
Mais de façon générale, quand je regarde des séries, des films, quand je vais au théâtre ou que j’écoute les infos, ce qui m’intéresse c’est cette mécanique du comment. Comment choisit on de raconter, plutôt que qu’est ce qu’on raconte.
Plus d'infos sur le festival
Retrouvez Lola Lafon au festival Jardins d'hiver 2025
Faire résonner le langage avec le corps, avec Lola Lafon et Noémi Gicquel
Rencontre
Événement terminé
Rendez-vous au Jardin d'hiver avec Lola Lafon
Rencontre
02/02/25 à 16h30
Bibliothèque - 4e étage
Gratuit