Après plusieurs années de sommeil, le carnaval reprend des couleurs à Rennes. Mais connaissez-vous l'histoire du carnaval à Rennes ? Retour sur les racines d'une fête haute en couleur, à l'occasion de l'exposition Carnavals, présentée au Musée de Bretagne.
Un carnaval bourgeois : bals et fêtes des fleurs
Le XIXe siècle, marqué par la montée de la bourgeoisie et l’idéologie industrielle du progrès, modifia la plupart des carnavals urbains. Nice et Paris en étaient les principaux modèles. Loin des charivaris populaires, le carnaval se transforma peu à peu en parade spectaculaire de chars et en soirées mondaines. Ainsi, les deux fêtes emblématiques du carnaval rennais bourgeois furent la fête des fleurs (juin) et les nombreux bals.
La première qui avait lieu tous les deux ans environ (1898 à 1955), met en scène deux espaces scéniques importants : le parcours du défilé des chars (le centre-ville prestigieux) et l’occupation du Champ de mars où se donnaient en spectacle chars, fanfares, carrousels (spectacle d’équitation militaire), départs en montgolfière, lancés de ballons publicitaires. Les thèmes abordés par les chars évoquaient souvent l’armée et le pouvoir (Louis XIV entouré d’hommes armés, chars-canons fleuris.). Le carnaval devient le symbole de l’ordre et la mesure. La femme, et particulièrement la jeune fille en fleurs, est au cœur de cette fête. Sur les affiches, c’est elle, qui assise sur son landau fleuri ou du haut d’un balcon, jette des fleurs aux hommes costumés en guerriers. La femme-fleur semble garante de la pureté, de la vertu et de la bienséance de cette fête carnavalesque. Les thèmes des chars évoquent souvent la nature (Soleil, Volubilis, Corbeille de fleurs et de libellules), l’érudition (thèmes historiques), l’attachement au progrès (aéroplane, train, électricité), ou à l’hygiène (sports).

Les bals, quant à eux, mettent en évidence les jeux de distinctions sociales de l’époque. L’Ouest-Eclair s’attache à décrire le faste des décorations, l’ingéniosité des costumes et la longue liste des personnalités. Le bal permet ainsi de faire entrer la jeunesse bourgeoise dans le monde des adultes sous le regard des dames patronnesses. En outre, beaucoup de ces bals s’inscrivent généralement dans des fêtes de bienfaisance. Déjà en 1853, la cavalcade historique et les bals qui l’entouraient étaient organisés au profit des pauvres.
Un carnaval potache : Mardi gras et Mi-Carême
À Rennes, le Mardi gras et la Mi-Carême étaient organisés principalement par les étudiants. Dès 1906, on constate qu’ils s’amusent à créer des situations protocolaires burlesques, des sortes de canulars, en partenariat avec l’Ouest-Eclair, l’Étudiant Breton et l’A. Ils faisaient croire en l’arrivée extraordinaire de personnalités connues comme le roi du Cambodge Sisowath, le sultan Moulay Hafid, le tueur Landru, ou l’escroc Georges Rème. Les illustres personnalités étaient accueillies à la gare, défilaient dans un landau, discouraient devant l’hôtel de ville. Des mises en scène pouvaient avoir lieu : tribunaux, jugements, arrivée de cuirassés et navires sur la Vilaine. Parfois, les étudiants s’ingéniaient à inventer un personnage grotesque comme Poupinel, grand guérisseur des escargots tuberculeux, venu inaugurer les premières pierres d’un futur sanatorium pour gastéropodes au jardin du Thabor.
Bien souvent l’année écoulée et les scandales vus dans la presse étaient le sujet de leurs bouffonneries. Chaque école (Médecine, Pharma, Droit, Beaux-Arts, etc.) construisait son propre char. Les thèmes étaient souvent moqueurs (Bibliothèque municipale cherchant un emplacement, tramway de Cesson traîné par des lapins) et reflétaient l’esprit de l’époque de par sa misogynie (« la voiture du féminisme, contenant des avocates, des doctoresses, des magistrates, des soldates, puis un pauvre mari tâchant d’endormir bébé… »), et son racisme (Péril jaune, Batoula, We have no bananas).


Un carnaval populaire
L’engouement pour le carnaval à cette époque était important. Les archives iconographiques montrent une foule de spectateur.ices agglutiné.e.s sur les trottoirs. Cependant, les moments où le peuple prend part aux festivités sont peu décrits par la presse locale. La bataille des confettis, souvent sous les arcades, et le bal des Lices clôturaient le carnaval. En 1900, « il a été jeté des centaines de kilos de confetti » et « on a procédé à trois ou quatre bousculades en règle ». Quant au bal des Lices, la presse mentionne quelquefois l’orchestre présent comme La Musique des Mutilés, la ferveur des danseur.euse.s, le « chahut », ou si le peuple a réussi à se travestir avec « bon goût ».
Disparition et renaissance
Après la Seconde Guerre mondiale, le carnaval s’essouffle. Arrivée de la télévision dans les foyers ? Engouement pour le cinéma ? Il ne disparaît pas complètement et apparaît dans certains quartiers comme celui de Sainte-Thérèse et est souvent un temps dédié aux enfants. Il faut attendre le XXIe siècle et l’impulsion du collectif Mardi Gras Jour Férié pour qu’il renaisse de ses cendres. Le carnaval rennais devient alors un espace d’expression d’une culture plus marginale et militante : écologie et anticapitalisme y apparaissent de nombreuses fois. Le collectif cherche aussi à remettre au goût du jour les mises en scène moqueuses des étudiants : faire la queue devant l’ANPE, jouir devant le Centre d’Art Content Pour Rien. Aujourd’hui, ce collectif n’est plus actif.
C'est l'association La Pulse qui a pris le relai et fait renaître le carnaval de Rennes depuis maintenant 3 ans. Elle organise un grand défilé dans les rues du centre-ville, appelant à la fête au rythme de plusieurs groupes de musicien.nes et de danseurs.ses, escortés pour l'édition 2025 par les marionnettes géantes du Collectif Rue des Titans.

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La face cachée de l’image est une toute collection conçue par KuB avec le musée de Bretagne : une série de vidéos qui montrent et décryptent des photographies issues de son imposant fonds photographique.