Francis Hallé : "L’éco-anxiété, je l’avoisine souvent, mais la prendre comme prétexte pour ne rien faire, c’est aller vers le drame !"

Écrit par : Par Félix Hamon, Silas Chausse Meynard et Blanche Gaud
Licence : CC BY-NC-SA
Publié le : 23/10/23

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Une photographie des étudiants de l'IEP autour de Francis Hallé.
Étudiants de l'IEP, DR

Dans le cadre de leurs études, des étudiants de Sciences Po Rennes s'entretiennent avec quelques-uns des grands témoins invités aux Champs Libres. À l’occasion de sa venue aux Champs Libres, le 23 septembre 2023, pour une conférence sur l’intelligence des plantes, ils ont pu rencontrer Francis Hallé. 

Francis Hallé

Francis Hallé est un botaniste, ancien professeur à l’université de Montpellier, qui n’hésite pas à se déplacer à travers toute la France pour partager ses connaissances au grand public. Nous avons échangé ensemble sur l’éco-anxiété, sur son projet pour une forêt primaire en Europe de l’ouest, ou encore sur l’importance de la transmission.

Une photographie des étudiants de l'IEP autour de Francis Hallé.
Étudiants de l'IEP, DR

Après une longue carrière dans l’enseignement, Francis Hallé ne rechigne jamais à revenir dans les universités ou auprès des plus jeunes : "J’aime beaucoup parler aux enfants, même aux tout petits. Ça les passionne et ils n’ont pas besoin de faire un effort de mémoire : ce que vous leur montrez, ils vont le garder toute leur vie. Des gens très importants auraient dû faire ça quand ils étaient gamins !"

Le botaniste fait beaucoup pour intéresser le public à son travail et pour le rendre accessible, en n’étant ni dans un discours scientifique trop technique ni dans un militantisme politique : "Je me méfie des deux. J’ai commencé par refuser totalement tout terme scientifique, j’estime qu’on peut très bien les remplacer par quelques mots. D’ailleurs, ceux qui continuent à utiliser des termes savants rajoutent juste après la traduction : ce n’est pas la peine, il n’y a qu’à mettre la traduction !".

Si les questions du public sont très variées selon les régions, Francis Hallé note un intérêt croissant pour les questions liées à l'environnement : "Au cours de mon existence j'ai constaté que le public précède toujours les institutions et les politiciens. Quand j’ai commencé, personne ne s’intéressait aux plantes. À l’Université, ce n'était que les animaux. D’ailleurs, moi aussi j’ai commencé à étudier les animaux, mais maintenant je ne les prends plus trop au sérieux. On ne peut pas compter dessus."

Francis Hallé aime citer Francis Ponge, qui dit que "les animaux c’est l’oral, les plantes c’est l’écrit". Cet intérêt du public pour le réchauffement climatique et la déforestation est sans doute lié à l’émergence d’une inquiétude paralysante, appelée aussi “éco-anxiété”, que les jeunes et les moins jeunes éprouvent de plus en plus. Pour Francis Hallé : "Le constat, tout le monde peut le faire. L’anxiété ne sert à rien. Il y a moyen de lutter contre. L’éco-anxiété, je l’avoisine souvent, mais la prendre comme prétexte pour ne rien faire c’est aller vers le drame : l’éco-anxiété, c’est précisément ce qui se passe quand on ne fait rien."

Un projet de forêt primaire en Europe de l’Ouest


Alors, Francis Hallé, continue à faire. En plus de ses activités de recherche et de pédagogue, il défend, à travers une association née en 2019, le projet de recréer – ou plutôt de laisser se créer – une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Ce projet peut être une réponse à l’éco-anxiété en ouvrant une perspective temporelle qui « fait confiance dans l’avenir » : il s’étend sur sept siècles et 70 000 hectares de forêt domaniale. Cet espace couvrirait plusieurs pays européens, ce qui est un atout pour Francis Hallé.

« Pour l’instant, la seule forêt primaire toujours existante en Europe se situe en Pologne. Si le gouvernement Polonais n’est pas intéressé, il peut tout couper. La forêt primaire est un projet européen et je tiens beaucoup à ça : c’est une assurance sur l’avenir. »

Face à ceux qui soulignent la modestie du projet, Francis Hallé répond : « Nous sommes une petite association, donc on voudrait surtout que ça marche ». Mais son idée est d’ores et déjà reprise par d’autres : « Il y a un pays qui a annoncé son intention de faire la même chose : c’est l’Espagne ! Ils cherchent déjà des projets entre Madrid et la forêt portugaise, il y a de magnifiques espaces, mais ce ne sera pas transfrontalier. »

Des discussions avec les représentants sont plus que nécessaires pour ce projet hautement politique. Le botaniste considère bien qu’il faut distinguer les politiques nationales et les représentants locaux : « La discussion est totalement différente. Les locaux connaissent la question ; au niveau national, ce n’est pas leur problème. Les Ardennes par exemple, ont besoin d’un renouveau total, et le projet de forêt primaire est enthousiasmant pour les élus locaux. Il y a toutes les réactions ! Je tombe sur des politiciens qui comprennent très bien les bénéfices de notre projet, il y en a d’autres qui ne veulent surtout pas changer leurs habitudes. Avec les chasseurs par exemple, je prévois de grandes difficultés. Le responsable national est bloqué sur des positions rigides et a ses entrées à l’Élysée.»

« Une nuit là-haut, sur les canopées équatoriales… ça ne s'oublie jamais. »


Dans le projet de la forêt primaire comme pour beaucoup d’autres, Hallé met en avant la beauté, la fascination au contact de la nature. Tout particulièrement dans les forêts primaires dont il a pu explorer les canopées grâce au projet innovant du radeau des cimes, au cours de nombreuses expéditions entre les années 1980 et 2010. Il nous raconte :

« C’est de très loin ce que j’ai vu de plus beau sur la planète : les canopées équatoriales. On n'a pas assez d'organes des sens ; une nuit là-haut, ça ne s’oublie jamais. Le soleil disparaît et un concert démarre : d’abord les grenouilles puis les oiseaux – que je ne peux identifier, mais que je peux apprécier. Des tas de cris bizarres, et à mesure que la nuit avance, il ne reste que des oiseaux avant l’aube. On est entouré de millions de fleurs, qui dans la journée ne sentent rien car les pollinisateurs sont nocturnes : les parfums sont incroyables. Ajoutez à ça les nombreux organismes qui deviennent lumineux la nuit ! En France, on a les lucioles et les vers luisants, tandis que dans une canopée équatoriale, il y en a plein d’animaux, de plantes, de champignons lumineux. C’est inoubliable. »

Nous l’interrogeons sur la peur nocturne mais ce n’est vraisemblablement pas un sentiment qu’il a rencontré là-bas. Lui vient alors une anecdote : « Dans la journée plutôt ! Je me rappelle m’être battu avec un singe qui voulait me piquer mon appareil photo : chacun tirait de son côté... » Le sentiment éprouvé lors de l’exploration des canopées semble unanime parmi les chercheurs : « Il y en a beaucoup qui sont revenus d’une mission à l’autre. Ceux-là connaissaient très bien ce qu’on appelle l’émerveillement. C’est tout à fait merveilleux et je vous le souhaite ! »

Francis Hallé évoquera plus en détail cet émerveillement dans son prochain ouvrage, qui traitera de la beauté du vivant.

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