La vue d'avant

Écrit par : Jean-Baptiste Gandon, pour Les Rennais n° 62
Licence : TDR
Publié le : 01/05/23

À lire

Une photographie couleur de l'enseigne d'un studio photo Kodak, à Lausanne.
Miniature Studio photographique Lauzanne, Lamballe, Mathieu Pernot TDR

Notamment connu pour ses travaux sur la communauté tsigane et les grands ensembles de banlieue, le photographe Mathieu Pernot joue cette fois au commissaire d’exposition et imagine La vie en photographie, fruit d’une sélection de clichés dans le fonds sans fin du musée de Bretagne. Le chroniqueur de son temps nous parle de ses choix.

De la naissance à la mort en passant par le mariage, c’était comment la vie avant ? La réponse se situe quelque part dans les 400 000 négatifs du fonds photographique du Musée de Bretagne, explorés pour l’occasion par Mathieu Pernot. 

Cette exposition fait suite à un premier projet mené en Bretagne en 2015. J’avais racheté un fonds de photographies Kodak datant de 1965. Ces images montraient des vitrines de magasins. J’ai eu envie de les retrouver 50 ans après... Celles-ci avaient bien sûr toutes disparu, un peu comme le métier de photographe, victime de la révolution numérique.

Instantanés de vie

De cette enquête est née l’idée d’un regard sur les collections du musée de Bretagne. En ligne de mire, la vie des Bretons, mais aussi la vue, le lauréat du prix Niepce 2014 en profitant en effet pour réinterroger les pratiques photographiques de studio dans la région.

On m’a en quelque sorte donné carte blanche, et j’ai pu découvrir ces archives uniques en leur genre.

Introduite par les images de devantures de magasins dialoguant à 50 ans d’intervalle, La  vie en photographie plonge ensuite littéralement dans le tourbillon de l’existence : « la première image est celle d’un bébé, la dernière celle d’une personne âgée. » Des instantanés de vie, avec ses hauts, comme les mariages, et ses bas, comme les décès précoces. Prises au début du siècle ou en 1970, les époques dialogues entre elles, tandis que des murs de l’exposition s’attardent sur certaines pratiques comme la photographie mortuaire.

Mathieu Pernot, La vie en photographie, exposition visible du 13 mai au 20 décembre au Musée de Bretagne.

Une photographie en noir et blanc d'une jeune femme. Derrière elle, un fond figure une représentation marine.
Portrait de Jeanne Catherine, négatif sur verre - Anne Catherine. CC-BY-NC-ND

Anne Catherine est représentée en 1915 par sa mère Jeanne, photographe à Redon. Derrière elle, un fond figure une représentation marine : dans une mer agitée, un bateau coule non loin des côtes dont on aperçoit un bout de terre de l’autre côté de la toile. Le visage impassible de la jeune fille semble bien indifférent à la tempête qui se joue derrière elle.  Dans une position semi-assise, les mains posées sur ses cuisses couvertes d’une longue robe, elle regarde vers un ailleurs qui échappe au spectateur et qui semble se dérober à elle-même. À quoi pouvait-elle bien penser à l’instant précis où sa mère photographe lui faisait son portrait ?

Une photographie en noir et blanc d'une femme âgée. Son visage, en mouvement, est complètement flou et donne un air inquiétant au portrait.
Crédits Portrait de femme âgée, négatif sur verre - Henri Rault. Domaine public

Il peut arriver que le photographe rate son portrait et que l’image produise une étonnante réalité. C’est le cas de cette représentation d’une dame âgée réalisée par Henri Rault le 29 décembre 1928. Le mouvement du modèle au moment du déclenchement de la prise de vue donne à voir une silhouette fantomatique semblant disparaitre dans le fond se trouvant au 2e plan. Plus que le témoignage de la vie d’une personne, il s’agirait ici d’un portrait d’outre-tombe.

Une photographie en noir et blanc d'un couple se tenant la main en fixant l'objectif en pleine nature. Les deux personnes sont élégamment habillées.
Portrait de mariés, négatif sur verre - Amédée Fleury. CC-BY-SA.

Sur un chemin de campagne, Amédée Fleury photographie ce couple de mariés se tenant la main en signe d’union. La jeune femme, élégamment habillée d’une robe noire, coiffée d’un diadème et tenant son bouquet dans l’autre main ne semble pas gênée par la présence de la boue tout autour de ses pieds, tout comme son futur époux. Le cadre que le photographe a choisi et les conditions dans lesquelles cette image a été prise, évoquent le chemin à parcourir ensemble pour une nouvelle vie à deux dans un contexte rugueux.

Une photographie couleur de l'enseigne d'un studio photo Kodak, à Lausanne.
Studio photographique Lauzanne, Lamballe, Mathieu

Cet ancien studio et magasin de photographie, dont la vitrine est couverte de peinture pour que l’on ne puisse voir l’intérieur, se trouvait à Lamballe et venait de fermer quand je l’ai photographié. À l’heure de l’incontournable présence du numérique, il témoigne de la fin d’une époque : celle où le médium photographique avait un usage social et commercial et dans lequel chaque image était inscrite dans la matérialité d’un support.

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