Récits funéraires, histoires de vie

Écrit par : Clara-Luce Pueyo – Eskemm Films
Licence : TDR
Publié le : 05/03/24

À lire

Photographie d'une tombe couverte de fleurs roses.
Miniature Cimetière de l'Est, Rennes, par Zeng Nian, DR

Pour contribuer à l’exposition "Mourir, quelle histoire !", des professionnels du milieu funéraire d’une part et des prêteuses d’objets d’autre part ont accepté de partager leurs histoires de vie. De novembre 2022 à mars 2023, c’est avec l’ouvrage "Au bonheur des morts" de Vinciane Despret, un micro et mon carnet de notes que je suis partie glaner des récits mortuaires.

Photographie d'une tombe couverte de fleurs roses.
Cimetière de l'Est, Rennes, par Zeng Nian, DR

Une plongée dans le milieu funéraire

Accompagnée par le photographe Zeng Nian, j’ai rencontré un thanatopracteur, une médium,  des membres de la Coopérative funéraire de Rennes et des agents cimetières rennais. Nous avons également interviewé une personne agnostique et des bénévoles de différentes religions engagés pour l'accompagnement aux funérailles ou la toilette mortuaire.

Les temps de rencontre ont eu lieu dans les espaces de travail et de pratique des personnes rencontrées. Cela a été l’occasion de découvrir des étapes logistiques et techniques précises dans l’accompagnement du défunt comme de ses proches.

Au-delà de la découverte des pratiques, c’est à un tout autre champ, spirituel, de soin(s), d’attentions à l’autre que nous initient ces rencontres.

Lorsque les portes de la chambre mortuaire de CHU de Rennes s’ouvrent devant moi, un hospitalier m’attend. Il me fait visiter les lieux, m’informe des soins en cours, me propose des pièces spécifiques pour la rencontre en fonction de mes besoins acoustiques. Contre toute attente, je me sens bien dans cet espace dédié à la mort. Plus largement, au fil des entretiens sonores, je découvre un univers convivial, et bien ancré dans la vie.

Il y a des situations qu'on pourrait juger difficiles, dures, injustes bien entendu, mais ce n’est pas ce qui se dégage des retours d’expériences des personnes interviewées. Une dimension tout autre en émane. Celle de l’accompagnement, du soin à l’autre : « On n’enlève jamais l'aspect de la mort, et ça reste toujours des moments compliqués à vivre. Mais voilà, on adoucit la mort et on participe au travail de deuil. Dans ma tête, je me dis :  c'est une dépouille. Quand j'ai fini mon travail, c'est un défunt. C’est important pour celles et ceux qui restent » raconte Carlo Vanzato, thanatopracteur. Ces professionnels et bénévoles sont des « garants » pour reprendre un terme utilisé par Grégory Nieuvarts de la Coopérative funéraire de Rennes. Ils et elles accompagnent dans ce temps de transition, entre la présence et l’absence. « Quand c’est le jour J du convoi, nous accompagnons les proches jusqu’à la sépulture et je leur raconte ce qu’il se passe. On gère un peu leur stress. On est là pour les apaiser au maximum » explique Marie-Christine Guillot, agente technique dans les cimetières de la Ville de Rennes. Cet apaisement des vivants semble être la ligne d’horizon commune à toutes les personnes rencontrées. Chacun et chacune raconte aussi à sa façon, un rituel, une manière de retrouver du sacré pour soutenir celles et ceux qui restent, dans la traversée de cet instant si déroutant.

Photographie d'une femme de dos, dans la nature. Elle marche aux côtés d'un chien qui se tient près d'elle.
Catherine Dorge avec sa chienne Socquette (Plougoulm, Finistère) Zeng Nian, DR

Raconter la vie

Les personnes qui ont confié un objet pour l’épilogue de l’exposition (cette partie de l’exposition met en avant les souvenirs et « ce qui reste ») se situent à un autre moment de la mort. La cérémonie funéraire a déjà eu lieu, parfois depuis longtemps. Ce qu’il reste des disparus, ce sont des objets, précieux car ils se métamorphosent rapidement en générateurs de récits. Comme le raconte Vinciane Despret : « Les morts font des vivants des fabricateurs de récits ». Toutes singulières et pourtant étrangement partageables, ces histoires nous donnent accès à ce qui n’est plus : un métier, une passion, un univers, ... À cet instant, ce sont des pans entiers de l’Histoire qui nous sont rendus accessibles.

Une cuillère en bois de buis nous ramène dans le champ où elle a été fabriquée dans les années 1940, un sweat blanc nous fait revivre les mobilisations d’Act Up des années 1990, un collier de fausses perles nous permet d’imaginer monter sur scène et affronter le trac … Tous les objets sont issus de contextes familiaux et sociaux précis. Leur puissance évocatrice est palpable dans Mourir, quelle histoire ! comme pour inviter chacun et chacune à prolonger l’exposition chez soi : quel objet pourrait faire récit chez vous ? À quel endroit le gardez-vous ? L’utilisez-vous dans votre quotidien ? À qui souhaiteriez-vous le transmettre, et pourquoi ? Là encore, les disparus ont trouvé un moyen d’être présents dans nos vies. Au détour d’une étagère ou dans le creux d’un tiroir, les revoilà à nous conter des histoires.

Il y a certes un avant et un après. D’un coup, l’autre n’est plus ici et maintenant. Et c’est irréversible. Mais une chose semble perpétuelle : le lien à l’autre, celui qui nous fait nous souvenir et raconter la personne dans la vie partagée ensemble. Les morts nous poussent à agir. « Moi c’est le vivant. Je m’occupe de ses enfants car c’est ce qu’elle aurait voulu »  nous confie Catherine, au détour d’un portrait, au sujet de sa sœur. Il semblerait bien que faire récit permet, d’une certaine manière, de rendre la vie.

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