Charles Braine, pêcheur passionné et militant infatiguable, défend un modèle de pêche éthique. Dans cette entretien avec des étudiants de Sciences Po Rennes, il évoque son parcours et ses combats, marqué par un attachement viscéral à la mer.
Est-ce que les jeunes ont toujours envie d’être marins, qui plus est marin-pêcheur aujourd'hui ?
Le marin c’est la personne qui travaille en mer. Aujourd’hui le métier de “marin-pêcheur”attire de plus en plus de femmes, de jeunes, mais aussi des personnes en reconversion professionnelle. Ces nouveaux profils sont essentiels au secteur car ils apportent un certain renouveau dans un domaine qui demeure encore largement constitué d’hommes issus de “familles de marins”. La pêche reste un métier difficile, avec des conditions de travail physiques et morales éprouvantes (engagement sur le pont, horaires contraignants et résultat incertain) et un taux de mortalité élevé (avec un décès pour mille marins-pêcheurs par an). Le secteur est par ailleurs très concurrentiel en l’absence de droit de propriété sur l’espace maritime et sa faune. Malgré cela, le métier continue d'attirer les passionnés de la mer. Les jeunes jouant un rôle crucial pour assurer la durabilité de la profession, le collectif “Mer de liens” que nous avons créé, aide les néo-pêcheurs à acquérir leurs premiers bateaux et facilite la transmission des petites embarcations.
La figure du “marin”, orthographiquement, reste d’identification masculine. Diriez-vous que la pêche est un secteur essentiellement masculin ?
La part des femmes dans le secteur a clairement augmenté mais l’espace de travail n’est toujours pas suffisamment aménagé… Cela est dommage parce que la féminisation du métier est un enjeu primordial tant pour la déconstruction des préjugés que pour la modernisation du secteur. Certaines femmes apportent des visions plus humanistes et naturalistes comme Sandrine Thomas qui promeut une nouvelle méthode de pêche japonaise (« Ikejime ») et Anne Marie Vergez, qui en plus de son engagement pour une pêche plus durable, met en évidence l’enjeu de la participation du secteur dans l’assistance des migrants en mer. Même travail pour Florence Bernard qui place la réalité du métier au premier plan en photographiant et filmant chaque facette de son activité. Concernant l’identification masculine du terme “marin-pêcheur”, mes collègues proposent d’utiliser “pêcheure” pour se référer à une femme.
Votre modèle de réseau de pêcheurs indépendants ‘Poiscaille’ implique une remise en question du mode de consommation. Quel poisson faudrait-il acheter ?
Il faut rappeler que l’on a atteint la limite d’exploitation de la ressource halieutique, le stock de poissons disponible en mer étant une ressource en partie épuisable/renouvelable. L’idéal de souveraineté alimentaire impose donc la remise en question du modèle de consommation à travers le prisme de la préservation de l’environnement. Il ne faut pas pêcher plus, mais mieux et au juste prix, en prenant en compte l’intérêt des consommateurs et les conditions de travail des pêcheurs. Mes recommandations sont donc les suivantes : favoriser un poisson entier (non transformé), issu de la pêche (technique renseignée sur l’étiquette), et qui a une belle tête ! Pour les personnes qui ont la chance de vivre sur le littoral, l'idéal est la pêche directe.
En ce qui concerne la législation européenne et sa politique commune de la pêche, que pensez-vous de l’outil des quotas ?
Le système de quotas (part autorisée de pêche d’une espèce protégée) au niveau de l’Union Européenne est nécessaire pour la régulation de la pêche, mais, ce n’est pas un système infaillible. En pratique, la règle d’attribution des TAC (Totaux Admissibles de Captures) est questionnable en ce qu’elle favorise les gros navires contre les petits chalutiers qui ont un impact environnemental réduit. Par exemple, actualité brulante, les pêcheurs bretons qui ne sont pas capable de justifier des ratios de pêche antérieurs suffisants se retrouvent complètement interdits de pêcher le “lieu jaune”. Ces problématiques m’ont motivé à rejoindre LIFE (« Low Impact Fishers of Europe ») un collectif qui insiste sur la nécessité d’une approche différenciée pour la gestion de la pêche à petite et à grande échelle.
Au regard de l’expérience que vous venez de nommer, pensez-vous que les politiques mises en place en matière maritime sont à la hauteur ?
Souvent oubliées de l’actualité ou sinon dénaturées, il y a un réel enjeu d'accès aux connaissances sur le milieu marin et le secteur de la pêche. La pêche est un secteur constamment simplifié, on l’associe trop souvent à l’agriculture, pourtant la compétitivité n’y est pas du tout la même et le milieu biologiquement différent. On ne peut légiférer en Mer comme on légifère sur Terre. Tout l’enjeu politique repose donc sur l’apport d’une solution plus collective, au niveau national mais aussi international. Cela passe d’abord par une démocratisation de la connaissance sur la mer et la pêche, en mettant le point d’honneur sur l’éducation, et l’apprentissage d’une culture maritime.
Vous avez un parcours professionnel très riche (privé, public, associatif, enseignement, politique) quelles sont vos aspirations pour l’avenir ?
Mon premier objectif est de continuer à exercer ma passion sur les flots. En quête de légitimité, je viens de racheter une petite embarcation, et suis la formation de marin-pêcheur pour retourner à une pêche raisonnable et respectueuse de l’environnement. A côté de cela, je continuerai à participer à mon échelle à la quête d’une transformation politique de la gestion de la pêche vers une transition écologique nécessaire. Cet objectif collectif nécessite une coordination entre les branches interprofessionnelles, la science et le milieu associatif. Seul le fruit de cette cohésion peut ensuite faire l’objet d’une transformation politique. Je continuerai enfin à promouvoir le travail d’ONG fortes et compétentes pour le développement plus éclairé et modéré de nos systèmes de pêches et d’exploitation des ressources marines.
Avez-vous une référence culturelle à nous conseiller pour s’imprégner de ce monde marin et de toutes les réalités qui l'entourent ?
L’ouvrage “Racleurs d’Océans” écrit par Anita Conti en 1953, première femme française à occuper la fonction d'Océanographe pour l’IFREMER, nous garantit une immersion dans le monde de la pêche durable et respectueuse des écosystèmes, à travers un beau récit de voyage. Ensuite, “La pêchécologie, Manifeste pour une pêche vraiment durable” écrit par Didier Gascuel en 2023 est une autre référence particulièrement intéressante. L’auteur adapte le modèle d’agroécologie au monde marin pour une meilleure gestion de la pêche et de nos ressources marines.