Silence dans les champs

Écrit par : Kathleen Junion

Licence : CC BY-NC-SA

Publié le : 17/11/23

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Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.
Nicolas Legendre et Yves Le Caro - DR – Kathleen Junion Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.

Rencontre entre Nicolas Legendre, journaliste-auteur et Yvon Le Caro, enseignant-chercheur, géographe rural.

Dans son ouvrage intitulé Silence dans les champs, publié aux éditions Arthaud, Nicolas Legendre, journaliste et fils de paysans, plonge dans l’univers agro-industriel breton. Riches de témoignages d’agriculteurs, de cadres de l’agroalimentaire, de syndicalistes, d’élus, son enquête de sept ans dresse le portrait d’un milieu où la violence et le silence font loi. Pour comprendre comment ce modèle a-t-il pu se mettre en place et perdurer, Yvon Le Caro, enseignant-chercheur, géographe à l’Université Rennes 2 et ancien professeur en lycée agricole apporte son expertise à celle du journaliste.

Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.
Nicolas Legendre et Yves Le Caro - DR – Kathleen Junion Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.

Le système agro-industriel breton dans le viseur

Comment expliquer que l’agriculture bretonne soit si industrialisée aujourd’hui ? En quoi la politique agricole commune (PAC) a-t-elle façonné le paysage breton ? Pourquoi est-ce si difficile pour un agriculteur de sortir du modèle agro-industriel majoritaire ? Autant de questions auxquelles Nicolas Legendre, journaliste, auteur de Silence dans les champs, publié aux éditions Arthaud et Yvon Le Caro, enseignant-chercheur en géographie rurale, à l’Université Rennes 2 et ancien professeur en lycée agricole tentent de répondre.

La Bretagne est restée longtemps peu industrialisée, contrairement à d’autres régions. « Elle a sauté dans la modernité industrielle dans les années 60 avec l’agro-industrie », constate Nicolas Legendre. Yvon Le Caro précise : « La modernité de l’agriculture bretonne répondait aussi à un objectif démographique qui n’existait pas ailleurs. Les femmes avaient en moyenne sept enfants, à cette époque. Ce saut dans la modernité permettait de garder un enfant de plus sur la ferme, ce qui n’était pas négligeable. »

Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.
Nicolas Legendre et Yves Le Caro - DR – Kathleen Junion Nicolas Legendre et Yves Le Caro posent devant une photo d'agriculteur du Musée de Bretagne.

L’émergence d’un modèle

Mais comment expliquer l’émergence et la domination de ce modèle agro-industriel breton ? « Je pense que c’est un alignement de planète inédit à l’époque : la PAC, les banques, l’État, les organismes de formation, les syndicats, ajoutez à cela une base paysanne prête à changer et on obtient une vision moderniste de l’agriculture qui se diffuse à tous les niveaux », résume le journaliste. « Il ne faut pas oublier que les membres de la Jeunesse agricole catholique (JAC), très actifs dans le Léon, se révoltent dans les années 60 contre le patriarcat et le système. Pour eux, sauter dans la modernité, c’est une manière de s’émanciper de leur père, économiquement et individuellement », rappelle Yvon Le Caro.

L’agriculture bretonne saute donc dans la modernité avec le concours de l’Europe et de sa politique agricole commune.Première mission de la PAC en 1962 : parvenir à l’autosuffisance alimentaire du marché commun. Un objectif atteint dès 1968 grâce à un modèle productiviste qui poursuit toujours son œuvre aujourd’hui…

Des dérives productivistes

Dès les années 70, des voix s’élèvent contre les dérives productivistes de la PAC. Les témoignages d’opposants faisant état de mesures d’intimidation violentes pleuvent dans l’ouvrage du journaliste. « Il y a une vraie violence intériorisée dans le milieu agricole, c’est un monde viriliste », regrette Nicolas Legendre. Yvon Le Caro tempère : « L’omerta existe, mais elle transforme les dérives en généralité. » Le chercheur poursuit : « Il faut rappeler que de 1972 à 1994, les élites du monde paysan savent que les agriculteurs polluent à cause du productivisme, mais elles verrouillent l’information et obtiennent un sursis de vingt ans de l’État. » Et Nicolas Legendre de conclure : « C’est la preuve qu’une vraie rupture n'est possible qu’en présence d’une volonté politique à tous les niveaux. »

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