Quel rôle peut jouer le droit international face aux bouleversements géopolitiques en cours ? Éléments de réponses avec Isabelle Bosse-Platière, directrice du Centre de recherches européennes de Rennes et de l'Institut de l'Ouest : Droit et Europe Université de Rennes. I. Bosse-Platière était invitée à participer à une table ronde sur « Que peut la justice face aux désordres du monde ? » durant le cycle de débats publics Les dialogues européens, initié par l'Institut Français, et portant sur le rôle et l'avenir de l'Europe, à l'heure du retour de la guerre sur le continent.
L’union européenne n’est pas un État, ce qui limite son action en droit international. Peut-elle néanmoins agir ?
L’Union européenne (UE) est une association d’États qui a le statut d’une organisation internationale.
Cependant, il existe un décalage clair entre l'ampleur des compétences de l'UE et la réalité du droit international. Si elle pourrait aujourd’hui avoir les compétences dans son droit interne pour devenir partie à la Cour Pénale Internationale (CPI), le droit international ne lui reconnaîtra jamais ce droit. Le statut de Rome n’est ouvert qu’à la ratification des États. L’Union européenne, aussi intégrée soit-elle, n’est pas un État.
Quelle est la nature de la collaboration entre la justice européenne et la justice internationale ?
La coopération entre la CPI et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) pourrait sans doute être renforcée, elle porte surtout sur des enjeux de transmission d’informations et de collaboration.
La coopération est d’abord financière. L’UE apporte un soutien financier à l’action de la CPI. En matière judiciaire, Eurojust est une agence de l’UE qui organise la coopération pénale entre les autorités judiciaires et répressives des États membres, avec des tiers et avec la CPI. Après l’intensification de la guerre en 2022, une des premières choses qui a été faite à ce niveau, est l’extension du mandat d’Eurojust. Mis en place dans un contexte particulier, cet outil pourrait s’avérer utile dans la perspective des futurs procès pénaux.
Les sanctions internationales ont-elles réellement un impact ?
Historiquement, il y a des sanctions qui ont fonctionné comme celles qui ont asphyxiées le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud, également tombé grâce à la résistance intérieure. C’est donc la combinaison de tous les outils qui peuvent être mobilisés qui finissent par faire tomber un régime totalitaire, comme celui de Vladimir Poutine.
Justement, que pensez-vous des sanctions à l'égard de la Russie ?
La question des sanctions à l’égard de la Russie est compliquée parce que ce qui a fait le succès des sanctions en Afrique du Sud c’est que tous les États ont mis l’Afrique du Sud au banc des nations du temps de l’Apartheid. Aujourd'hui, la Russie n’est pas mise au banc par toutes les nations. Le vote de sanctions aux Nations Unies est peu envisageable puisque la Russie dispose d’un droit de veto au Conseil de Sécurité.
Ce caractère non-global des sanctions fait qu’il y a des voies de contournement qui se mettent en place. Puisque Poutine ne peut plus commercer avec l’Europe, il trouve d’autres sources de débouchés.
Et quid des sanctions prises au niveau européen ?
La CJUE rencontre assez peu l’Ukraine dans sa jurisprudence. Aujourd’hui elle la rencontre dans le cadre de la guerre en Ukraine, à travers le contrôle des mesures restrictives ; un outil déployé par la communauté internationale, qui consiste en des sanctions à l’encontre de Poutine, d’oligarques russes ou d’entreprises. L'objectif étant de soutenir l’Ukraine, en tentant d'affaiblir l’économie russe. Le problème est que ces mesures sont attentatoires aux libertés et donc il arrive régulièrement à la CJUE d’annuler ces décisions. Elles sont perçues par le Conseil comme une violation des droits fondamentaux, le plus souvent, par manque de motivation des décisions.
Après, la CJUE peut, dans sa jurisprudence, être amenée à prendre position sur des sujets internationaux délicats. À titre d’exemple, lorsqu’on importe des melons ou des oranges de la bande de Gaza ou de la Cisjordanie, il faut que le consommateur européen sache que ces produits ne viennent pas d’Israël mais d’un territoire occupé par Israël. Si ceci ne tient pas lieu d’une reconnaissance juridique, cela demeure une manière de reconnaître, en application du droit international, le caractère autonome de certains territoires. De cette manière, le juge européen vient prendre position sur une situation délicate.
Quel regard portez-vous sur le processus d’adhésion à l’Union européenne de l'Ukraine ?
Le chemin pour l’adhésion de l’Ukraine est un chemin très long et qui est semé de beaucoup d'embûches. Il faudra que l’Ukraine puisse satisfaire les conditions d’adhésion qui sont à la fois économiques, politiques et juridiques. L’adhésion va donc prendre des dizaines et des dizaines d’années. Si, les négociations ne sont pas encore ouvertes, l’UE a tout de même reconnu le statut d'État candidat à l’Ukraine et donc sa vocation à adhérer à l’UE.
Mais ce n’est pas qu’un problème ukrainien. Si l'Union européenne veut accueillir l’Ukraine, il faut aussi qu’elle se réforme. L’UE, aujourd’hui, telle qu’elle fonctionne, ne peut pas absorber un État comme l’Ukraine. En effet, des millions d’euros, qui, aujourd’hui soutiennent les économies de la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie pourraient être redirigés en Ukraine. C’est un souci de politique de cohésion qui se pose pour l’UE, avec un risque de déstructuration.
Viktor Orban a affiché l’intention de recevoir le dirigeant israélien Benjamin Netanyahu alors même qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Que pourrait-il se passer à l’échelle européenne ?
Dans l’UE, on parle de mandat d’arrêt européen. Là où l'extradition à l’échelle internationale est politique, le mandat d'arrêt européen est purement judiciaire. Ce dernier peut être décidé quand un criminel est poursuivi ou condamné dans un pays, que les autorités judiciaires veulent procéder aux poursuites, et que cette personne se trouve dans un autre État membre de l’UE.
Dans le cadre de la Hongrie, la mise en œuvre d’un mandat d’arrêt européen pourrait mettre en difficulté Viktor Orban : cela créerait une obligation judiciaire de remettre Benjamin Netanyahu aux autorités. En effet, l’ordre juridique européen est beaucoup plus contraignant pour les États. Les conséquences d’une violation du statut de la CPI ou du droit européen ne sont pas les mêmes, tout comme les procédures susceptibles d’être engagées.
Entretien réalisé le 30 novembre 2024.